Asa mo, hiru mo, yoru mo de Aoki Kotomi

Publié le 15 Mars 2014

Asa mo, hiru mo, yoru mo de Aoki Kotomi

Culture du viol, le manga !

Titre: Asa mo, hiru mo, yoru mo

Manga-ka: Aoki Kotomi

Date de publication au japon: 2002

Statut de la série: Terminée

Statut de ma lecture: Terminée

Nombre de tomes parus: 2

Shinobu est une lycéenne qui a été violée lorsqu'elle était au collège. Traumatisée, elle n'a plus aucune confiance en la gente masculine et encore moins en Yokomizo, un de ses camarades de classe, qui ressemble traits pour traits à son violeur ce qui rappelle à chaque fois son traumatisme à notre héroïne. Seulement voilà, Yokomizo est très amoureux de Shinobu.

Voilà typiquement le genre de manga qui me donne envie de mordre dans une table tant ils pourraient être utiles et nécessaires et au lieu de cela se vautrent dans le cliché et les messages puants. En effet le lectorat nippon comme occidental a clairement besoin d'œuvres parlant du viol qui soient destinées aux adolescents vu que de nombreuses jeune femmes risquent d'être agressées et de nombreux jeunes hommes d'agresser. Mais au lieu de cela que fait ce manga ? Une bonne grosse leçon de culture du viol... Vu le sujet et la façon dont il est traité, cet article risque d'être extrêmement pénible pour les victimes d'agressions sexuelles. Donc voilà, trigger warning, ne vous imposez ni la lecture de cet article ni de ce manga si vous n'en avez pas envie. D'ailleurs je n'hésiterai pas à spoiler allègrement le manga, car je n'ai absolument aucune envie que vous le lisiez.

La culture du viol, c'est quoi ?

La culture du viol c'est ce qui fait que tandis que tous les hommes sont, en théorie, contre le viol, en France, 205 femmes se font violer... Par jour.

Et que sur les 75 000 viols commis en France seulement 10 000 seront déclarés.

La culture du viol se manifeste de différentes façons dans tous les aspects de notre vie quotidienne. Seulement comme ici c'est un blog de critiques de manga, je vais donc essayer de vous trouver un exemple dans un manga pour chaque point. Ceci dit, si la question de la culture du viol vous intéresse n'hésitez pas à aller jeter un œil sur des blogs féministes tels que celui de http://www.crepegeorgette.com, http://cafaitgenre.org, http://antisexisme.net, ou encore http://lesquestionscomposent.fr .

Sur quoi repose donc la culture du viol, et comment se manifeste-t-elle dans le mangaverse ? Voici une petite liste non exhaustive.

L'injonction viriliste, omniprésente dans le système patriarcale, qui consiste à dire qu'un homme doit coucher, avec une fille, à tous prix pour être « un vrai mec » et que si ce n'est pas le cas il sera en permanence moqué. Je vous rappelle à ce titre que puceau est une insulte. Dans les seinen/shônen on a l'exemple hyper connu d'Onizuka dans GTO dont la virginité est un ressort comique censée le rendre ridicule, et qui fait qu'il est souvent victime de moqueries de la part des personnages secondaires. Mais ce n'est évidemment pas le seul.

La remise en cause du consentement. Dire par exemple que lorsqu'une femme dit non elle veut dire peut-être, et lorsqu'elle dit peut-être elle veut dire oui, c'est complètement occulter le consentement de celle-ci. Car en réalité, tant qu'une femme n'a pas dit oui LIBREMENT à la proposition d'un rapport, elle ne consent pas, et c'est un viol. Donc dire « non mais les femmes aiment pas qu'on leur pose la question faut y aller direct » c'est de la culture du viol. Or c'est quelque chose d'extrêmement courant dans le mangaverse. Combien de fois une fille qui détestait un garçon, après que celui-ci l'ai tout bonnement harcelé sur des pages et des pages finit par tomber amoureuse de lui ? Combien de fois dans les yaoi le uke (qui je le rappelle est en fait une métaphore de la femme dans le couple hétéro comme j'en parlais déjà ici) ne dévoile-t-il rien de son désir en attendant que le seme se jette sur lui ? Ou inversement le seme part du principe que le uke le désire ardemment et donc le saute sans lui demander son avis ? Dans le même esprit faire boire les femmes pour coucher avec alors que tu ne peux pas donner un consentement fiable sous substance, c'est un viol. Décrire ça comme une pratique courante et normale pour coucher: C'est de la culture du viol.

La banalisation du viol, à savoir: représenter le viol comme quelque chose de bénin, voire comme simplement du sexe un peu violent. (Alors que viol et sexe consentit, aussi brutal soit-il, n'ont rien à voir.) Et alors là j'ai envie de citer en exemple: NEARLY. EVERY. HENTAI/YAOI/YURI. EVER. J'avais d'ailleurs déjà parlé de ça, encore une fois, dans le critique de Double Mints. Représenter un viol, c'est une chose, faire passer ça pour une partie de jambe en l'air normal et faire assimiler aux lectrices et lecteurs l'idée que c'est pas si grave si on est amoureux, c'est un tout autre soucis.

L'humour sur le viol. Faire une blague sur un viol, c'est banaliser le crime et donc ça rentre dans la culture du viol. Or j'ai été scotchée de lire, à plusieurs reprises, dans des manga, des personnages secondaires conseiller au personnage principal de violer la personne qu'il aime pour lui faire comprendre son affection, le tout sur le ton de la plaisanterie ! DA HELL ?!

Et enfin le victim shaming, à savoir lorsqu'une personne a été victime de viol faire basculer la culpabilité sur elle et non sur son agresseur. Remettre en cause son témoignage, sous entendre qu'elle n'avait qu'à s'habiller autrement, lui dire qu'elle l'avait bien cherché car elle connaissait/vivait avec/avait acceptée l'invitation de son agresseur: Toutes ça rentre dans cette catégorie. Le victim shaming va généralement de paire avec une volonté de chercher des excuses à l'agresseur et donc de le dédouaner de son acte en le justifiant par exemple par d’incontrôlables pulsion liées au fait que ce soit un homme (LOL), par des sentiments exacerbés ou n'importe quelle autre bullshit. Encore une fois c'est un travers très TRES courant dans les yaoi où le seme viole le uke et lui sort ensuite un truc du genre: « C par ce ke t pas genti avc moa ! » ou « C dan ma natur je sui 1 animal grrrr !! » et que le uke accepte cette explication, voir s'excuse -!-, tout comme la lectrice est censée aussi accepter le comportement du seme...

Le résultat est que comme hommes et femmes baignent dans cette culture du viol, sans qu'à aucun moment le mot ne soit prononcé, les hommes finissent par trouver le viol totalement normal, et les femmes par être convaincues que si elles se font violer, de toute façon, c'est de leur faute. Il va sans dire que cela n'aide pas à condamner les violeurs, à prévenir les viols, ou à aider les victimes. Or comment cela se manifeste-t-il dans le manga qui nous intéresse ?

Le fou furieux dans une allée sombre.

Le description du violeur de Shinobu, faite dans les premières pages de « Asa mo, hiru mo, yoru mo », pose elle-même problème: Celui-ci est décrit comme un paria de la société qui a pété les plombs et s'en est donc pris à la première personne qu'il croisait. On est pas loin du méchant violeur qui attend les jeunes filles à la tombée de la nuit dans une allée sombre... Mythe très répandu et totalement faux puisqu'une grande partie des viols sont en réalité commis par des proches de la victime (amis, famille, conjoint). Vous remarquerez d'ailleurs que l'auteure elle-même trouve, grâce à cette description des excuses sous-entendues au violeur. Après tout le pauvre avait été mis en marge de la société (le problème n'est donc pas lui mais cette société aux codes rigides qui rend les gens fous) et en plus il était pas vraiment lui même (il a craqué)... Qu'il ai violé une fille pour se défouler est finalement bien compréhensible, non ? BULLSHIT.

Outre, donc, la divulgation de grosses conneries, il s'agit là aussi d'un raccourcis scénaristique qui me déplait fortement. Parce qu'ainsi la victime n'aura plus jamais à rencontrer son violeur (dont on ne saura au final rien de plus que ce qui est dit de lui dans les premières pages du manga) or c'est un problème récurent pour les victimes de viol et en parler aurait été réellement intelligent et utile. Savoir comment faire face à son agresseur, ou justement trouver moyen de ne pas avoir à le revoir est important. Qui plus est il aurait été intéressant de savoir ce qui est arrivé après l'agression: Le criminel est-il toujours en liberté ? Comment l'héroïne a-t-elle fait après l'agression ? A-t-elle portée plainte ? Si oui comment cela s'est-il passé ? Etc. Mais non, ici on est dans un shôjo ! Et bien sûr toutes ces questions n'intéressent aucunement le lectorat féminin tel que vu par les éditeurs de shôjo, et l'auteure, semble-t-il. Vite évacuons tout ce qui est réellement important pour parler de l'essentiel: Les histoires d'amûûûr !

Du victim-shaming avec des paillettes !

Du coup on retrouve majoritairement du victim-shaming, et de la banalisation dans ce manga. Or ce qui m'énerve déjà dans les manga pornographiques quels qu'ils soient m'agace d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un shôjo. Car on parle ici d'un manga destiné à des personnes jeunes voire très jeunes, dont les armes intellectuelles ne sont pas encore assez affutées pour analyser en profondeur ce qu'on leur présente. Pire encore, la cible éditoriale est féminine, et donc directement concernée par les problèmes d'agressions sexuelles. Donc en gros, c'est implanter directement dans la tête de jeunes filles en fleurs des idées immondes qui risquent d'avoir des conséquences gravissimes sur leur vie future.

Car en effet alors qu'elle a été victime d'une agression traumatisante et violente, devinez qui est la « méchante » dans cette histoire ? Shinobu bien sûr ! L'héroïne est accusée de tous les torts que ce soit par les autres personnages, ou même par l'auteure !

C'est vrai quoi, elle y met pas du sien aussi.

On l'accuse de ne pas être assez forte mentalement: Vous-vous rendez compte, elle pleure de terreur tout le temps dés qu'elle voit un homme ! C'est pourtant pas comme si un homme l'avait agressé... Oh wait !

On l'accuse d'être méchante avec la gente masculine: Parce que tu comprends elle ne tolère pas leur présence près d'elle... Alors que dans n'importe quel shônen un homme qui passe son temps à humilier et fuir les femmes sera vu comme un personnage drôle et sympathique.

Et enfin elle est présentée comme manquant de tact parce qu'elle ne répond pas aux sentiments de Yokomizo. Ce qui au passage me permet de pousser une autre gueulante concernant un point récurant dans les manga: Peu importe combien l'héroïne et le héros sont différent, peu importe combien ils se détestent et ont de raison de se détester au départ, pour peu que le héros ne soit pas physiquement laid l'héroïne finira TOUJOURS par répondre à ses sentiments. Et j'insiste c'est l'héroïne qui finit par tomber amoureuse du héros qui la harcèle depuis le début du manga. Car quand l'héroïne est amoureuse d'un garçon et que celui-ci n'est pas immédiatement attiré par elle: C'est que la pauvre se fait des illusions et finira par se rendre compte que le vrai amour de sa vie est son meilleur ami qui lui fait la cour depuis des années. Parce que ce serait teeeellement dommage de remettre en cause le schéma patriarcal du harcèlement de la séduction !

Quoi qu'il en soit, Shinobu est donc systématiquement présentée comme en faute, et au final c'est toujours plus ou moins elle qui finit par faire des efforts absolument colossaux pour enterrer son traumatismes. Efforts qu'elle ne fait jamais pour, elle, se sentir mieux, mais bien pour ne pas faire de peine à notre « gentil » Yokomizo dont je m'apprête justement à parler.

Making booze with your male tears.

Un des énooooormes problème, à mon sens dans ce manga, en plus de tous les autres énoncés précédemment, c'est la place monstrueuse accordée aux hommes. Et plus précisément à Yokomizo. C'est bien simple on a autant, voire PLUS de pages sur les sentiments et les conflits internes de cet homme que sur ce que ressent l'héroïne. Pire, si on y réfléchit bien, l'histoire ne porte pas tellement sur comment Hoshino réussit à surmonter son traumatisme mais plutôt sur comment Yokomizo va réussir à séduire la fille qu'il aime alors que celle-ci le déteste. D'ailleurs dés fois que vous n'ayez pas bien compris qu'en réalité Shinobu n'est pas sujet mais objet de cette histoire en bas de la première page de chaque début de chapitre il y a un petite image avec la progression de Yokomizo dans le cœur de Shinobu... Cette dernière étant représentée comme une princesse enfermée tout en haut d'une tour que Yokomizo gravit. Voilà, voilà.

Vous me direz « oui mais il peut pas approcher la femme qu'il aime alors qu'il a rien fait de mal, le pauvre quand même ! » Ce à quoi je répondrais que j'en ai strictement rien à foutre de son mélodrame de mes deux ovaires. D'un côté on a un personnage qui a été victime de VIOLENCES SEXUELLES, ALLO LA TERRE ! Et de l'autre un sale gosse qui s'énerve parce qu'il peut pas pécho ! Et pourtant les deux sont traités de la même manière... Y'a comme un soucis !

D'autant plus qu'au final Yokomizo n'est PAS « gentil ». Tout au plus c'est un nice guy dont la gentillesse est intéressée puisque c'est pour sortir avec l'héroïne qu'il fait tout ça.

D'ailleurs, il n'a absolument rien d'admirable même s'il est présenté comme « mieux que les autres garçons », plus mâture, intelligent et bon. En réalité tout son comportement est absolument lamentable. Il passe son temps à suivre et s'approcher de Shinobu alors qu'elle ne peut pas le sentir, et va même jusqu'à l'embrasser de force. Et même si lorsqu'il apprend que Shinobu a été violée, certes, dans un premier il s'en veut à mort pour son comportement précédent (seul point positif)... Mais il n'en tire aucune leçon et recommence à la toucher sans son consentement par la suite. Le pire c'est que dans un premier temps il refuse même de s'excuser, et qu'il plaisante sur, voire se sert du traumatisme de Shinobu pour la manipuler ! Et c'est cet homme qui est censé être le prince charmant ? Bah p*tain ça fait pas rêver...

D'autant plus que même ses apparentes qualités n'ont absolument rien de si formidable. En effet celles-ci sont: sa fidélité, une si belle qualité lorsqu'il s'agit d'une personne qui ne t'aime pas en retour, et sa « gentillesse » sachant que ça consiste la plupart du temps à se sacrifier pour sa belle en se retenant de la toucher sans son consentement (BRAVO ! Oulàlà quel homme !), en lui adressant plus DU TOUT la parole, la mettant donc dans l'embarra au final parce que c'est clair que c'est pas évident à gérer de croiser quelqu'un qui te harcèle puis t'ignore du jour au lendemain alors que vous êtes DANS LA MÊME CLASSE. Son dernier « point fort », enfin, est de protéger sa belle. Oui, protéger sa belle contre des agresseurs imaginaires en la raccompagnant quand elle rentre de l'école parce que dehors c'est dangereux. Ce qui est d'autant plus absurde que Shinobu a été violée dans son école. Ou bien se la jouer chevalier servant en houspillant le mec qui lui prend la main alors qu'elle n'en as pas envie alors que bon, Yokomizo l'a embrassé de force deux chapitres plus tôt...

Du coup finalement, lorsque Shinobu finit par tomber amoureuse, ça donne plutôt l'impression qu'elle cède à une pression constante et à un chantage affectif assez immonde. D'ailleurs la pression ne vient pas seulement de Yokomizo, mais de toute la classe qui soutient et plein le pôvre amoureux transi mais n'a que faire du traumatisme de l'héroïne. Qui plus est, encore une fois il est clairement montré que c'est moins à lui de changer son comportement et de se montrer sous son meilleur jour pour éveiller le désir et l'affection en elle, plutôt qu'à elle de déceler les traces d'humanité de cet abruti. B8<

Et paf ça fait des choca... Une sombre merde.

Finalement ce qu'on remarque c'est que cette œuvre vomitive est le résultat de ce qui se passe quand on applique un scénario lambda de romances shôjo débile (qui est au manga ce que la presse féminine est aux magazine, à savoir l'ensemble de toutes les injonctions patriarcales concentrées sur papier) à un sujet aussi grave que le viol.

Parce que quand on y regarde de près l'articulation du scénario est strictement la même, et on retrouve cette absence totale d'éloignement ou de recul critique sur le genre jusque dans le style totalement interchangeable avec n'importe quel autre shôjo manga. Sauf peut-être qu'il n'y a pas de triangle amoureux. Heureusement d'ailleurs parce que si c'était le cas j'aurais même pas trouvé le courage d'écrire cette critique. Et du coup ce manga m'apparaît vraiment comme de la merde dans un emballage de poupée barbie. C'est sexiste, répand des idées terrifiantes et dangereuses et en plus c'est enrobé de cœurs et d'étoiles. Franchement j'en ai la nausée.

Et le plus tragique dans l'affaire... C'est que ça marche.

J'ai été horrifiée en lisant les commentaires sur mangafox et FB, et même si celles et ceux dénonçant la nullité de cette bouse sur mangaupdates m'ont un peu rassuré, le manga a quand même une plutôt bonne note au final. Le pire étant les gens qui défendent ce scénario en bois ou qui trouvent ça « mignon ». Sérieusement allez vous pendre.

Conclusion:

Typiquement le genre de manga à brûler.

"Pauvre Yokomizo" par contre ta copine violée et traumatisée tu t'en fous… Sympa.

"Pauvre Yokomizo" par contre ta copine violée et traumatisée tu t'en fous… Sympa.

Rédigé par Nocturne

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